dimanche 7 février 2016

Asylum (2)



Après l'ouverture en dessin de Nicolas Fructus, voici l'épisode 2 d'Asylum, cadavre exquis réunissant 7 auteur et un illustrateur autour d'une histoire... étrange.

Chaque jour, je me réinvente. Chaque jour, je renais de cendres inexistantes. Il y a tellement de possibles ! Tellement de vies à imaginer, à essayer ! Autant d’existences que celles qui s’accumulent dans les récits de cette bibliothèque où je me réfugie lorsque j’ai du temps libre. Libre !
Mot paradoxal, dans cet enfer où l’on m’a confinée pour mon propre bien. Il paraît que je suis un danger pour moi-même, en plus d’avoir, par ma seule présence, une mauvaise influence sur les autres.
Je voudrais fuir, mais c’est impossible. Les chaînes chimiques qui me retiennent prisonnière sont trop puissantes. Mon corps, jadis souple et vif, n’est plus qu’un spectre sans force, à peine capable de se traîner jusqu’au sous-sol voûté et de s’emparer d’un livre avant de s’affaler dans un fauteuil défraîchi. Quant à mes pouvoirs, je me rappelle à peine leur nature ; j’ai bien trop honte de ce que je suis devenue pour me remémorer leur puissance.
Alors, je me projette ailleurs. Hier, j’étais un enfant perdu dans une jungle hostile et j’avais pour compagnons une panthère et un ours. Aujourd’hui, je me rêve courageuse, obstinée, capable de défier mon oncle pour rendre hommage à un frère défunt. Grâce à ces histoires, j’échappe à mon enveloppe charnelle, je traverse ces murs de pierres vieilles et chargées de souffrances. Et je change, je l’éprouve au plus profond de moi. Au début, je n’y prêtais même pas attention : c’était un éclat de pensée venu d’ailleurs, une émotion confuse, un geste qui ne m’appartenait pas vraiment. À présent, je sais que ma psyché absorbe des éléments venus d’ailleurs, de ces personnages dans lesquels je me faufile, le temps d’une lecture. Je sens ces éléments s’immiscer et se fondre en moi, formant par d’infimes couches une gangue protectrice autour de mon âme. L’effet des drogues dont on me gave s’émousse insensiblement. Et parfois, quand le sommeil me projette hors de moi-même, je rêve que je ne suis plus tout à fait la même qu’avant.
La grande horloge résonne dans le hall. Mon cœur manque un battement. Le sang bourdonne dans mes veines. J’inspire profondément, me contrains au calme, sinon l’infirmière me jugera trop énervée pour quitter ma cellule. J’entends son pas, régulier comme un métronome, dans le couloir. Cliquetis, et son visage rond, lisse comme une pomme, apparaît dans l’embrasure de la porte.
— Alors, Alice, comment se sent-on, cet après-midi ?
Je réponds poliment, les yeux baissés ; j’accepte sans résister la pilule d’opiacées et j’ouvre grand ma bouche pour montrer combien je suis obéissante. Puis, docile, je la suis jusqu’aux caves voûtées où se situe la bibliothèque. Ignorant mes rares camarades avachis dans des sièges de cuir éventrés, je me dirige vers les rayonnages. Un ouvrage, en particulier, attire mon attention.
Charlotte Bousquet

SUITE DE L'HISTOIRE, 17 FÉVRIER

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire